Opérer le cerveau avec l'aide du malade éveillé
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Opérer le cerveau avec l'aide du malade éveillé
« Le Figaro » a assisté à une intervention où le patient collabore avec le chirurgien en guidant ses gestes.
«Tout va bien, Gaël (1) ? Vous êtes en salle d'opération. Prenez encore cinq minutes pour vous réveiller puis nous allons vous faire travailler.» Assis derrière son patient, dont il a largement ouvert la boite crânienne, mettant ainsi à nu une partie du cerveau, le Pr Hugues Duffau parle posément. Quelques minutes plus tôt, en pleine intervention, le neurochirurgien avait demandé à l'anesthésiste de réveiller le jeune homme. Dans cette phase, sa collaboration va être essentielle pour guider le geste chirurgical. À première vue, la scène paraît hallucinante. Il s'agit en fait d'une opération de «chirurgie éveillée», une technique innovante de neurochirurgie dont le Pr Duffau est l'un des spécialistes mondiaux.
Gaël est atteint d'un gliome de bas grade, une tumeur cérébrale non maligne mais très mal placée : elle infiltre le lobe temporal gauche, une zone considérée comme cruciale pour le langage. Sans intervention, cette tumeur (qui s'est déjà révélée par une crise d'épilepsie) risque à terme de dégénérer en cancer. Mais son ablation peut induire des troubles du langage… Les premiers neurochirurgiens consultés avaient refusé d'opérer Gaël. Pour le Pr Duffau, le défi consiste donc à enlever le plus possible de tissu malade tout en préservant la qualité de vie de son patient, jeune et actif.
«Nous avons tous un cerveau différent. Quand des lésions évoluent lentement, le cerveau se réorganise. Les données anatomiques ne suffisent pas, celles de l'imagerie fonctionnelle non plus», justifie le neurochirurgien, en soulignant l'importance des réseaux de connexion entre les neurones. Le principe, simple mais révolutionnaire, de la chirurgie éveillée est de s'appuyer sur une cartographie à la fois anatomique et fonctionnelle du cerveau en temps réel, avec des tests (calcul mental, langage…) effectués pendant l'opération.
Couché sur le côté, Gaël regarde avec attention l'écran d'ordinateur sur lequel l'orthophoniste fait défiler des images. «Ceci est un chien, ceci est une poire, ceci est un accordéon…» énumère-t-il d'une voix d'abord pâteuse, puis de plus en plus claire, parfaitement concentré. De l'autre côté du champ opératoire, toujours d'un calme olympien, le neurochirurgien prend ses repères. Muni d'une petite sonde, qui envoie un courant de faible intensité, il stimule la surface du cortex point par point. En induisant des perturbations transitoires, cette technique permet de détecter en temps réel les régions «cruciales» qu'il faut préserver à tout prix. Quand Gaël commence à buter sur un mot, ou que son débit se ralentit, le Pr Duffau s'arrête, et pose une mini-étiquette (stérile) à même le cerveau sur la zone correspondante, pour ne plus y toucher. Malgré quelques maux de tête, ce patient motivé va pleinement coopérer pendant toute la durée des tests, soit plus d'une heure ! Il est ensuite rendormi pour la fin de l'intervention. Au final, après cinq heures d'opération, un morceau de cerveau de la taille d'une orange a été enlevé, mais à son réveil, Gaël ne souffrira pas de troubles de la parole. Les limites de l'exérèse ont été dictées par le respect des fonctions cérébrales davantage que par les frontières physiques de la tumeur.
Plasticité cérébrale
Depuis une quinzaine d'années, d'abord à Paris puis désormais au CHU de Montpellier, le Pr Duffau a ainsi opéré 350 malades, dont beaucoup avaient été récusés par ses confrères, avec un taux de séquelles permanentes très faible (moins de 1 %). «Contrairement à ce que l'on apprend dans les livres, il est possible d'exciser des volumes massifs dans des aires cérébrales considérées comme éloquentes, sans créer aucun déficit», insiste-t-il. Pratiquée par quelques équipes dans le monde, cette technique, née aux États-Unis, est proposée dans certaines épilepsies, et avant tout pour des gliomes de bas grade. Dans ces tumeurs particulières, qui touchent 700 à 800 personnes par an en France, en général des adultes jeunes, le cerveau a le temps de se réorganiser profondément, contrairement à ce qui passe en cas d'attaque cérébrale, où le déficit s'installe brutalement. Cette plasticité cérébrale permet d'ailleurs au Pr Duffau de pouvoir intervenir plusieurs fois chez un même patient. «Quand on réopère, on voit des modifications de la cartographie cérébrale, ce qui est la preuve absolue de la plasticité», explique-t-il. Après l'opération, la réorganisation cérébrale est aussi stimulée par une rééducation précoce et intensive.
Selon le Pr Duffau, il reste encore beaucoup à faire pour finir de décrypter le fonctionnement du cerveau in vivo. Des dizaines de collaborations sont en cours avec des chercheurs français et étrangers. Un programme est ainsi initié avec l'équipe de François Bonnetblanc, du CHU de Dijon, afin de définir les tests les plus pertinents pour évaluer la motricité pendant l'intervention. «Beaucoup a été fait sur le plan cognitif, mais il n'y avait pas grand-chose pour la motricité, peut-être en raison des contraintes au bloc opératoire», explique le jeune chercheur. Bien sûr, il n'est pas question de faire réaliser aux patients de grands mouvements pendant qu'ils sont sur le billard. Les épreuves porteront plutôt sur des mouvements fins de pointage, de saisie d'un objet… À terme, le Pr Duffau aimerait même développer des tests pour préserver les fonctions émotionnelles et comportementales. Un pas de plus, presque philosophique, vers le respect de la qualité de vie.
«Tout va bien, Gaël (1) ? Vous êtes en salle d'opération. Prenez encore cinq minutes pour vous réveiller puis nous allons vous faire travailler.» Assis derrière son patient, dont il a largement ouvert la boite crânienne, mettant ainsi à nu une partie du cerveau, le Pr Hugues Duffau parle posément. Quelques minutes plus tôt, en pleine intervention, le neurochirurgien avait demandé à l'anesthésiste de réveiller le jeune homme. Dans cette phase, sa collaboration va être essentielle pour guider le geste chirurgical. À première vue, la scène paraît hallucinante. Il s'agit en fait d'une opération de «chirurgie éveillée», une technique innovante de neurochirurgie dont le Pr Duffau est l'un des spécialistes mondiaux.
Gaël est atteint d'un gliome de bas grade, une tumeur cérébrale non maligne mais très mal placée : elle infiltre le lobe temporal gauche, une zone considérée comme cruciale pour le langage. Sans intervention, cette tumeur (qui s'est déjà révélée par une crise d'épilepsie) risque à terme de dégénérer en cancer. Mais son ablation peut induire des troubles du langage… Les premiers neurochirurgiens consultés avaient refusé d'opérer Gaël. Pour le Pr Duffau, le défi consiste donc à enlever le plus possible de tissu malade tout en préservant la qualité de vie de son patient, jeune et actif.
«Nous avons tous un cerveau différent. Quand des lésions évoluent lentement, le cerveau se réorganise. Les données anatomiques ne suffisent pas, celles de l'imagerie fonctionnelle non plus», justifie le neurochirurgien, en soulignant l'importance des réseaux de connexion entre les neurones. Le principe, simple mais révolutionnaire, de la chirurgie éveillée est de s'appuyer sur une cartographie à la fois anatomique et fonctionnelle du cerveau en temps réel, avec des tests (calcul mental, langage…) effectués pendant l'opération.
Couché sur le côté, Gaël regarde avec attention l'écran d'ordinateur sur lequel l'orthophoniste fait défiler des images. «Ceci est un chien, ceci est une poire, ceci est un accordéon…» énumère-t-il d'une voix d'abord pâteuse, puis de plus en plus claire, parfaitement concentré. De l'autre côté du champ opératoire, toujours d'un calme olympien, le neurochirurgien prend ses repères. Muni d'une petite sonde, qui envoie un courant de faible intensité, il stimule la surface du cortex point par point. En induisant des perturbations transitoires, cette technique permet de détecter en temps réel les régions «cruciales» qu'il faut préserver à tout prix. Quand Gaël commence à buter sur un mot, ou que son débit se ralentit, le Pr Duffau s'arrête, et pose une mini-étiquette (stérile) à même le cerveau sur la zone correspondante, pour ne plus y toucher. Malgré quelques maux de tête, ce patient motivé va pleinement coopérer pendant toute la durée des tests, soit plus d'une heure ! Il est ensuite rendormi pour la fin de l'intervention. Au final, après cinq heures d'opération, un morceau de cerveau de la taille d'une orange a été enlevé, mais à son réveil, Gaël ne souffrira pas de troubles de la parole. Les limites de l'exérèse ont été dictées par le respect des fonctions cérébrales davantage que par les frontières physiques de la tumeur.
Plasticité cérébrale
Depuis une quinzaine d'années, d'abord à Paris puis désormais au CHU de Montpellier, le Pr Duffau a ainsi opéré 350 malades, dont beaucoup avaient été récusés par ses confrères, avec un taux de séquelles permanentes très faible (moins de 1 %). «Contrairement à ce que l'on apprend dans les livres, il est possible d'exciser des volumes massifs dans des aires cérébrales considérées comme éloquentes, sans créer aucun déficit», insiste-t-il. Pratiquée par quelques équipes dans le monde, cette technique, née aux États-Unis, est proposée dans certaines épilepsies, et avant tout pour des gliomes de bas grade. Dans ces tumeurs particulières, qui touchent 700 à 800 personnes par an en France, en général des adultes jeunes, le cerveau a le temps de se réorganiser profondément, contrairement à ce qui passe en cas d'attaque cérébrale, où le déficit s'installe brutalement. Cette plasticité cérébrale permet d'ailleurs au Pr Duffau de pouvoir intervenir plusieurs fois chez un même patient. «Quand on réopère, on voit des modifications de la cartographie cérébrale, ce qui est la preuve absolue de la plasticité», explique-t-il. Après l'opération, la réorganisation cérébrale est aussi stimulée par une rééducation précoce et intensive.
Selon le Pr Duffau, il reste encore beaucoup à faire pour finir de décrypter le fonctionnement du cerveau in vivo. Des dizaines de collaborations sont en cours avec des chercheurs français et étrangers. Un programme est ainsi initié avec l'équipe de François Bonnetblanc, du CHU de Dijon, afin de définir les tests les plus pertinents pour évaluer la motricité pendant l'intervention. «Beaucoup a été fait sur le plan cognitif, mais il n'y avait pas grand-chose pour la motricité, peut-être en raison des contraintes au bloc opératoire», explique le jeune chercheur. Bien sûr, il n'est pas question de faire réaliser aux patients de grands mouvements pendant qu'ils sont sur le billard. Les épreuves porteront plutôt sur des mouvements fins de pointage, de saisie d'un objet… À terme, le Pr Duffau aimerait même développer des tests pour préserver les fonctions émotionnelles et comportementales. Un pas de plus, presque philosophique, vers le respect de la qualité de vie.
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